lundi 5 décembre 2016

Réactions après le jugement du Tribunal Administratif de Nantes

FLASH-BALL : LE LYCÉEN NANTAIS JUGÉ CO-RESPONSABLE DU TIR QUI L’A ÉBORGNÉ

L’état condamné à ne verser que la moitié des indemnités.

paru dans lundimatin#84, le 5 décembre 2016

Flash-Ball à Nantes : État condamné et responsabilité partagée

27 novembre 2007 à Nantes. La police expérimente les premiers modèles de Lanceurs de Balles de Défense – LBD 40 – contre une manifestation lycéenne. Pierre Douillard, 16 ans, est touché à la tête par une balle en caoutchouc, il perd l’usage de l’œil droit.

Novembre 2016. 9 ans se sont écoulés. Les mutilés par des tirs de Flash-Ball et de LBD se sont multipliés partout en France. Au terme d’une longue épopée judiciaire, durant laquelle le policier tireur a été relaxé en 2012 pour « obéissance à un ordre » suivie d’une procédure engagée contre l’État, l’audience est enfin fixée. Le 21 octobre, le rapporteur public demande la condamnation de l’Etat, et l’indemnisation du blessé à hauteur de 67 000 euros. Le délibéré, attendu de longue date, est fixé le vendredi 25 novembre. Un mois passe. Le jour J, un autre procès emblématique des violences policières se tient à Bobigny. Trois agents de la BAC comparaissent pour avoir tiré à coups de Flash-Ball, en juillet 2009, sur des manifestants à Montreuil, et mutilé l’un d’entre eux : Joachim Gatti. Pour conjurer ce hasard du calendrier, les juges nantais décident prudemment d’ajourner leur délibéré, et invoquent un détail administratif pour repousser leur décision après le week-end. Le lundi suivant, le standard du Tribunal Administratif apprend aux plaignants que « les juges en charge du dossier sont absents ». Les magistrats gagnent du temps. C’est finalement le mardi, à la nuit tombante, que l’avocat de Pierre Douillard Lefevre est informé par téléphone de la décision.

PARTAGE DE RESPONSABILITÉS

L’État est bien condamné pour le tir de LBD 40, et l’arme est officiellement reconnue comme « dangereuse » par la justice. En revanche, fait incroyable, les juges décident d’opérer un « partage des responsabilités » à 50% entre les deux parties. Autrement dit, le blessé et ceux qui lui ont tiré dessus sont considérés comme également responsables du préjudice. Comment ont été calculés ces pourcentages de responsabilité ? A partir de quel barème ? Le mystère reste entier.

C’est la deuxième fois en deux semaines que les juges administratifs de Nantes désavouent le rapporteur public – ce qui, en temps normal, est rarissime. La première fois début novembre au sujet de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, la seconde sur la question des armes de la police. Deux sujets regardés avec attention par le pouvoir politique. Concrètement, dans leur jugement, les magistrats inventent un délit de « non désolidarisation d’une manifestation » en ces termes :

« en admettant même que M. D. n’ait pas lui- même lancé des projectiles, il résulte de l’instruction qu’il ne s’est pas désolidarisé de l’attroupement [...] alors qu’il aurait dû s’éloigner ; que, dans ces conditions, M. D. doit être regardé comme ayant commis une faute à l’origine de son préjudice susceptible d’exonérer partiellement l’Etat de sa responsabilité. »

En 1955, des grèves insurrectionnelles avaient agité le bassin ouvrier de Nantes et Saint-Nazaire. Le siège du patronat local avait été mis à sac, la prison et le palais de justice pris d’assaut. Lors d’une des manifestations, un jeune maçon, Jean Rigollet, avait été abattu d’une balle dans la tête par les CRS, devant la préfecture de Nantes. En 1960, la famille du défunt était déboutée en justice, les juges avaient considéré le manifestant tué comme « l’un des meneurs les plus actifs ». 

Lors de l’audience, le préfet de Loire-Atlantique avait osé exhumer cette jurisprudence vieille de plusieurs décennies dans l’affaire de Pierre Douillard-Lefevre. Tout un symbole. Avec l’idée de « co-responsabilité », les juges nantais ont finalement suivi les arguments de la préfecture.

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Extrait du jugement du Tribunal Administratif

PRÉSOMPTION DE CULPABILITÉ

Ainsi, à l’heure où la police réclame une « présomption de légitime défense », les magistrats s’exonèrent du droit et créent une présomption de culpabilité des victimes de violences policières. Non seulement c’est la victime qui se retrouve sur le banc des accusés, mais ce n’est plus un fait qui est jugé, mais une simple intention. Le fait d’avoir été là. Du côté des indésirables. Ce jugement inaugure une jurisprudence qui pourrait s’appliquer aux innombrables autres blessés qui comptent faire condamner l’État pour des tirs de balles en caoutchouc, des supporters blessés aux abords des stades à ceux qui résistent aux gendarmes sur les ZAD, sans oublier toutes les personnes touchées à proximité de « violences urbaines » dans les périphéries.

LES ARRANGEMENTS DU PRÉFET

En définitive, le tribunal décide d’octroyer à Pierre Douillard-Lefevre la moitié de la somme qui aurait du lui revenir, soit autour de 48 000 euros. 4 ans plus tôt, en août 2012, le préfet de Nantes avait fait parvenir un courrier confidentiel, stipulant : « l’État reconnaissant ses responsabilités et privilégiant une issue amiable » proposant près de 100 000 euros contre un abandon des poursuites. Après un refus et des années de procédure, la justice prend finalement sa revanche en « partageant les responsabilités » et en divisant les réparations par deux. 

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Quand le Préfet proposait à titre confidentiel92 800 € à Pierre Douillard en échange de l’arrêt des poursuites.

Ce délibéré révèle les paradoxes de la gestion démocratique du maintien de l’ordre. Alors que la police frappe de plus en plus fort, de plus en plus indistinctement sur fond d’antiterrorisme, les juridictions sont bien obligée de reconnaître la dangerosité du nouvel arsenal répressif. Alors que le LBD 40 vient d’être reconnu comme une arme mutilante, il est généralisé depuis des années dans toutes les unités de police. Ce sont même, depuis cet été, des fusils d’assauts qui sont exhibés lors des émeutes de Beaumont-sur-Oise ou en marge de certaines manifestations. 
Une semaine avant le délibéré de cette affaire, la maire socialiste de Nantes, Johanna Rolland, annonçait que sa police municipale serait, elle aussi, dotée des Lanceurs de Balles de Défense.

Etienne Noël, l’avocat de Pierre Douillard-Lefevre, répond aux questions de lundimatin.

Lundimatin : Les actions en justice contre les mutilations au flashball sont relativement fréquentes quand il n’y a pas de classement sans suite. Il y a deux semaines avait lieu le procès de trois policiers au tribunal de Bobigny. Le jugement est attendu le 16 décembre. Cette fois-ci c’est un tribunal administratif qui juge. Pouvez-vous rappeler la spécificité de la procédure administrative par rapport à la plainte au pénal pour les néophytes ? 
Etienne Noel : Les actions devant les juridictions administratives permettent de mettre en cause le système dans son ensemble plutôt que de pointer la faute de tel ou tel policier ou gendarme. Dans cette hypothèse le ministre de l’intérieur aurait beau jeu de se désolidariser de son subordonné qui aura mal travaillé sans respecter ses instructions. Devant les juridictions administratives, il est possible de soulever des questions tenant à la faute de l’État, questions inopérantes devant une juridiction pénale.
LM : Quel est votre sentiment général par rapport au jugement rendu par le Tribunal Administratif de Nantes ?
Étienne Noel : un sentiment malgré tout très positif. Le tribunal pointe les fautes de l’État dans l’organisation et la mise en œuvre du LBD40, celles que je soulevais dans mon mémoire introductif d’ailleurs : insuffisances et carences de la formation des personnels habilités, dangerosité de l’arme, zone atteinte, etc. Je suis par contre scandalisé par le partage de responsabilité de 50% qui ouvre la voie à une responsabilité systématique des personnes qui participent à une manifestation. La jurisprudence concernant Clément Alexandre avait écarté tout partage alors même qu’il se trouvait lui-même au cœur d’un attroupement d’où partaient (dixit le jugement du TA de Paris) des projectiles. La jurisprudence du Conseil d’Etat donne aussi un exemple de partage dans un cas d’espèce où la victime avait un rôle de meneur, très différent de celui de Pierre Douillard.
LM : Le tribunal avance pourtant cette idée surprenante selon laquelle Pierre Douillard a " commis une faute à l’origine de son préjudice susceptible d’exonérer partiellement l’État de sa responsabilité " en ne se désolidarisant pas de "l’attroupement". Il parvient en outre à chiffrer cette responsabilité à hauteur de 50%, ce qui est plus que ce que demandait le rapporteur. Comment l’expliquer et n’y a-t-il pas à craindre qu’une telle décision face jurisprudence et remette en question le droit de manifester sans prendre le risque d’être éborgné ?
Etienne Noel : Je pense qu’il ne faut pas se satisfaire de cette décision, très dangereuse sur le partage de responsabilité.
LM : Pensez-vous malgré tout que cette condamnation puisse constituer un point d’appui pour de prochaines affaires ? D’autres requête sont-elles d’ailleurs en cours ? 
Etienne Noel :Oui, il s’agit d’une pierre de plus contribuant à l’édification d’une jurisprudence destinée à faire admettre l’extrême dangerosité du LBD 40 et du flash ball. J’ai actuellement trois autres dossiers en cours à mon cabinet.

Note de l'auteur : Je ne partage pas totalement l'argumentation de cet article 
En effet le rapporteur public a été suivi sur la question de la responsabilité de l'état ....même s'il ne l'a pas été sur le partage de responsabilité...



mercredi 30 novembre 2016

Etienne Noël, l'Avocat révolté


 

On le surnomme « l’avocat pionnier des taulards » ou le « Père Noël des détenus ». Depuis près de vingt-ans, Me Etienne Noël attaque l’Etat Français pour ses conditions d’incarcération indignes.

 

« Aujourd’hui, il n’est pas là : il visite des détenus toute la journée, explique la secrétaire du cabinet de Rouen. Demain ? Il est à la prison de Moulins le matin et à celle de Poissy l’après-midi ». Chaque semaine, c’est la même chose : Me Etienne Noël passe de longues heures derrière les barreauxLorsqu’il rencontre un détenu au parloir, ce n’est pas seulement pour préparer sa défense, il prend aussi le temps de faire « un long audit de sa situation carcérale »Convaincu que le rôle de l’avocat commence dès la garde à vue et se termine après la sortie de prison, Etienne Noël fait figure despécialiste sur un terrain quasiment inviolé par ses confrères : celui du droit pénitentiaire et de l’application des peines. « Nous ne sommes qu’une trentaine d’avocats en France à nous y intéresser, déplore-t-il Certainement parce que c’est moins prestigieux que la défense pénale. Mais je pense qu’il y a aussi un problème de formation et de rémunération »La palmarès d’Etienne Noël a de quoi faire pâlir la République : il a fait condamner plus 200 fois l’Etat pour des conditions de détention indignes. Il a ouvert la brèche à Rouen, Lyon, Bordeaux, Strasbourg, Marseille, dans le Nord... et même en Guadeloupe. « Là-bas, à la prison de Baie-Mahault, la promiscuité est telle que les détenus cuisinent sur les toilettes ! »évoque-t-il. A présent, c’est la prison Ducos en Martinique qui est dans sa ligne de mire et pour laquelle il a déjà réuni une quinzaine de recours. Il suffit de lire le rapport de 2009 du contrôleur général des lieux de privation de liberté pour avoir un aperçu de l’enfer au soleil avec un taux d’occupation de 208%(http://www.cglpl.fr/2011/rapport-de-visite-du-centre-penitentiaire-de-ducos-martinique/)

Inutile de traverser l’océan pour découvrir l’horreur carcéraleDans sa ville natale, à la bien-mal nommée « Bonne Nouvelle » de Rouen, Etienne Noël ne manque pas de travail : cette maison d’arrêt surpeuplée, l’une des plus vieille et décatie de France, est marquée par de nombreux drames, suicides, meurtres et même du… cannibalisme. En janvier 2007, un homme de 35 ans a tué son codétenu et mangé un morceau de son poumon. « Les murs suintent la mort », lui a, un jour, confié un détenu. C’est ici justementqu’Etienne Noël fait la connaissance de Christian, un détenu révolté par sa misère quotidienne. Pour la première fois, le 6 mars 2008, il plaide devant le juge administratif en évoquant des conditions de détention contraires à la dignité humaine. Ce jour-là, ce n’est pas uniquement le dossier de son client qui se joue mais un procès contre l’imprenable citadelle pénitentiaire (http://www.liberation.fr/evenement/2008/04/09/l-etat-juge-coupable-de-l-etat-de-ses-prisons_69195)La décision est historique : le tribunal condamne l’Etat à verser 3 000 euros de dommages et intérêts à Christian pour «préjudice moral» lié à des conditions matérielles de détention«dégradantes». Et cela sans qu’aucun incident particulier n’ait été déploré. C’est une première en France ! « Radio prison »se charge de passer le message dans les coursives : Etienne Noël est alors sollicité par de nombreux détenus de Rouen, puis du reste de la France. Epaulé par une armée de stagiaires enthousiastesil gère aujourd’hui des centaines de recours contre l’Etat de « façon quasi-industrielle »Ces dossiersreprésentent autant d’accrocs à l’impunité de la pénitentiaire. En décembre, le « bras armé des taulards » plaidera pour 46 détenus car malgré un coup de peinture et de nouvelles cloisons pour séparer les toilettes, rien n’a vraiment changé« Mais sous prétexte de ces travaux mineurs, le tribunal administratif s’est mis à rejeter mes recours », s’agace-t-il. 

SON 1 : les prisons

Difficile de s’imaginer que, dans une vie antérieure, Etienne Noël a été responsable du service Bourse chez un agent de change pendant huit ans. Après son licenciement, à 31 ansil décide, sur les conseils de sa femme, de s’inscrire en droit des affaires à la faculté de Nanterre. La suite relève tout autant duhasardune camarade de classe retire un dossier pour préparer le concours d’avocat. Etienne Noël fait de même. Après tout, pourquoi pas ? En 1992, il endosse sa première robe noire et s’inscrit au barreau de Rouen. « Au début je mangeais du pénal à haute dose et j’allais voir mes clients sans trop me soucier de leur sort en prison », se souvient-il. Jusqu’en 1995 et sa rencontre avec Rodolphe, un détenu qui lui raconte son calvaire : il a été violé et torturé à la prison de Rouen pendant trois semaines par ses deux co-détenus. « Ses bourreaux ont été condamnés devant la cour d’assises mais je me suis dit que ce n’était pas suffisant : il fallait agir contre l’administration pénitentiaire qui n’a pas su protéger Rodolphe », poursuit Etienne Noël. A l’époque, le jeune avocat commis d’office ne dispose d’aucune jurisprudence, seulement deux vieux arrêts du Conseil d’Etat de 1973 et 1978 exhumés des archives. Il sera donc premier de cordée : « Contre toute-attente, ce fut une réussite ! En 1999, le tribunal administratif de Rouen a condamné l’Etat pour deux fautes lourdes : faute de surveillance et erreur de placement »Rodolphe a touché 30 000 francs de dommages et intérêts. Une petite somme mais « un grand moment » pour Etienne NoëlEt le point de départ d'une carrière de bête noire de la pénitentiaire. 

« Je suis entré en prison avec la ferme intention de ne plus en sortir », écrit-il dans son livre Aux côtés des détenus. Un avocat contre l'Etatrédigé avec le journaliste Manuel Sanson. Vingt ans de combat ont progressivement transformé l’homme issu d’une famille bourgeoise et catholique pratiquante en un farouche militant de gauche et membre de l’Observatoire International des Prisons (OIP). L’expérience n’ôte rien au plaisir de défricher les terres arides du droit« C’est une matière tout neuve, il y a beaucoup de choses à inventer », estime-t-il. Alors, dans cette guérilla juridique contre la pénitentiaire, il est sur tous les fronts. Il a obtenu une vingtaine de condamnations pour des viols, suicides ou meurtres en prison. A chaque fois, il faut éplucher le dossier, trouver la faille. « Je me souviens très bien de Patrice que l’on a avait retrouvé pendu dans sa cellule en 1999, une semaine après son incarcération provisoire », raconte Me Noël. Sur son dossier, il était écrit en rouge «  risque suicidaire majeur ». « La pénitentiaire n’a pas pu prouver qu’elle avait mis en place des rondes supplémentaires et le tribunal administratif a condamné l’Etat pour faute lourde », raconte-t-il. En ce moment, sa nouvelle marotte : le travail en prison. « Une détenu doit être rémunéré selon les modalités d’un décret de 2011, détaille-t-il. Comme la pénitentiaire ne respecte jamais les barèmes, on fait la soustraction et on demande la différence à l’Etat »Ce n’est pas tout : il a également mené avec sa consoeur Me Laure Heinich un long combat aux côtés des détenus handicapés de la prison de Fresnes et a obtenu, en 2012, une condamnation de l’Etat pour leurs conditions d’incarcération en cellules ordinaires.(http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2011/12/23/97001-20111223FILWWW00464-detenus-handicapes-l-etat-condamne.php). 

SON 2 : les détenus handicapés

Aujourd’hui, l’avocat révolté croule sous le travail. A tel point que son cabinet rouennais ne suffit pas à traiter toutes les demandes qui affluent. « Il y a une machine infernale qui s’est mise en route et il est impossible de l’arrêter. Cela devient même périlleux pour l’économie du cabinet », explique-t-il. Pourtant, son affaire la plus marquante, celle qui le hante encore n’a fait l’objet d’aucune plaidoirie, ni d’aucun recours. Le 26 novembre 2006, Justin, 77 ans « est mort, comme un chien, seul dans sa cellule du vieux centre de détention de Liancourt (Oise) », raconte-t-il avec colère et amertume sur son blog. (http://noeletienne.blogspot.fr/2011/06/justin-mort-en-detention.html). Il poursuit : « Justin était âgé, malade, handicapé en fauteuil roulant, sénile ; il ne pouvait plus dire quelle peine il purgeait ; il avait du mal à reconnaître les personnes qui venaient le rencontrer ». Malgré tout, l’homme s’était vu refuser une suspension de peine au motif qu’il était« juste » atteint de démence sénile. Son état était donc jugé compatible avec la détention..Toujours bouleversé par cette affaire, Etienne Noël voudrait déposer une proposition de loi pour raccourcir les délais d’examen d’une demande de libération conditionnelle pour raison de santé. D’autant quel’avocat a déjà oeuvré avec succès sur le terrain législatif : saproposition de loi sur la suspension de détention provisoire pour raison médicale figure dans le projet de réforme pénale de la garde des Sceaux, Christiane Taubira(http://www.senat.fr/cra/s20140213/s20140213_4.html). A l’avenir Me Etienne Noël n’espère qu’une chose : faire des émules parmi ses confrères pour que « l’avocat sorte enfin de sa bulle ».

SON 3 : la proposition de loi

Julie Brafman

 

mardi 25 octobre 2016

La revue dessinée de septembre 2016 n• 13

Flash Ball : des nouvelles du front

L’ÉTAT BIENTÔT CONDAMNÉ À VERSER 67 200 EUROS AU LYCÉEN NANTAIS BLESSÉ AU FLASHBALL ?

Face aux armes de la police : une épopée judiciaire

paru dans lundimatin#78, le 24 octobre 2016

Ce 21 octobre, le tribunal administratif de Nantes examinait un recours quasiment inédit qui vise mettre en cause la responsabilité de l’État dans les blessures provoquées par les flashballs.

Pierre Douillard, lycéen à l’époque, avait perdu un oeil en 2007 après qu’un policier lui ait tiré dessus lors d’une manifestation contre la loi LRU. Lors de son procès en 2012, le policier avait été reconnu coupable du tir mais relaxé au prétexte qu’il obéissait à un commandement supérieur.

Le recours dont il est question dans cet article consiste à contourner la responsabilité et les éventuelles fautes individuelles des policiers, pour s’attaquer directement à l’État. C’est la légalité même de l’usage de ces armes à « létalité atténuée » qui est en jeu.

Un lecteur de lundimatin nous a envoyé le résumé de toute cette affaire dont l’épilogue est attendu le 25 novembre. S’ensuit une interview d’Étienne Noel, qui expose en détail les enjeux de cette décision d’un point de vu légal.
(Notons que Pierre Douillard a récemment publié un livre intitulé L’arme à l’oeil. Violences D’Etat Et Militarisation De La Police.

ARME DE TERREUR

Novembre 2007. Le gouvernement de Nicolas Sarkozy, fraîchement élu, fait face à la première agitation conséquente du quinquennat. Les facs et les lycées sont bloqués contre la loi LRU sur la privatisation des universités. Des milliers de jeunes prennent la rue. Il s’agit d’une réplique du séisme social du printemps 2006 qui avait abouti à l’abrogation du CPE.

Simultanément, une révolte embrase Villiers-Le-Bel, suite à la mort de Moushin et Lakhamy, morts percutés par une voiture de police. Contrairement au soulèvement de 2005, l’incendie est circonscrit à l’aide de balles en caoutchouc, de confinement du quartier, de militarisation de l’espace, d’appels à délation.

Le 27 novembre, les ministres courent au chevet d’un policier blessé lors d’affrontements à Villiers-Le-Bel. On parle de « voyoucratie », on entend des appels à durcir l’armement de la police. C’est précisément ce jour là que Pierre Douillard, lycéen de 16 ans qui manifeste à Nantes, est atteint par un tir de Lanceur de Balle de Défense – LBD 40 – à la tempe. Il perd l’usage de son œil droit. C’est le premier mutilé d’une longue série par cette nouvelle arme.

Le LBD 40 est alors inconnu du public. Ce fusil qui propulse des balles en caoutchouc est en phase d’expérimentation. Le ministère de l’intérieur en a distribué secrètement quelques centaines, au compte-goutte sur tout le territoire, à des policiers volontaires, depuis l’été 2007. A Nantes, la nouvelle arme est testée sur une foule de lycéens qui se dispersent à la fin d’une manifestation. Contrairement au Flash-Ball, ce lanceur est doté d’un canon rayé et d’un viseur haute technologie, qui permet d’atteindre très précisément une cible. Ici, le visage d’un manifestant. L’effet politique est concluant. Les lycées sont débloqués dans les jours qui suivent. L’arme sera généralisée.

MARATHON JUDICIAIRE

Mars 2012, cinq ans plus tard. Au terme d’un marathon judiciaire, le procès du policier qui a tiré sur Pierre Douillard se tient à Nantes. Entre temps, les mutilations à coups de flash-ball et de LBD se sont multipliées. Joachim et Geoffrey à Montreuil, Joan à Toulouse, Bruno et Alexandre à Villiers-le-Bel, Ayoub à Montlbéliard, Daranka à Corbeil Essonne, la liste ne cesse de s’allonger.

Le procès dure deux jours. Il est éprouvant. Dans un tribunal littéralement ceinturé d’uniformes, Mathieu Léglise, le policier tireur, se félicite à la barre d’avoir « neutralisé la cible ». Son avocat, Laurent-Franck Liénard, militant pour le port d’arme généralisé et auteur d’un guide pratique pour les policier nerveux de la gâchette [1]. fait rebondir une balle en caoutchouc sur le sol du tribunal pendant sa plaidoirie, et mène une véritable guérilla judiciaire. La violence du maintien de l’ordre se déplace dans la salle feutrée du tribunal. Le délibéré, un mois plus tard, relaxe Mathieu Léglise. Le policier a bien tiré sur Pierre. Il l’a bien atteint au visage. Mais il ne saurait être condamné, car il a obéit à un « commandement légitime ».

Quelques semaines plus tard, un courrier « confidentiel » du préfet de Loire-Atlantique propose au blessé une forte somme d’argent en échange d’un « arrêt des poursuites ». L’affaire aurait pu en rester là, mais Pierre Douillard et ses proches décident à présent d’attaquer l’État auprès du Tribunal Administratif. Ils s’entourent d’Étienne Noël, un avocat connu pour avoir fait condamner l’administration sur la question des conditions carcérales. L’avocat fait reconnaître en 2013 la responsabilité de la police dans la blessure de Clément, dont la mâchoire avait été fracturée en 2009 par un tir de Flash-Ball.

L’ÉTAT CONDAMNÉ ?

Vendredi 21 octobre 2016. Audience au Tribunal Administratif. Cela fait près de 9 ans que Pierre Douillard a été blessé, et les armes de la police touchent désormais des centaines de personnes. Les récentes manifestations ont même vu apparaître une arme plus dangereuse encore que le LBD. Un fusil à barillet permettant de tirer de lacrymogènes et des balles en caoutchouc en rafale, le PGL-65.

Pour défendre l’État, l’avocat du préfet s’appuie sur une jurisprudence vieille de 50 ans, à propos d’un jeune maçon, Jean Rigollet, abattu d’une balle dans la tête par les CRS dans les rues de Nantes, lors des grandes grèves de 1955 ! Pour appuyer son propos, le juriste bredouille que la blessure du lycéen n’est pas la faute des forces de l’ordre mais celle du « corps enseignant » qui aurait « laissé des mineurs manifester dans la rue ». Pour conclure ce triste spectacle, l’avocat ose même une référence au djihadisme : l’État ne peut-être rendu responsable des mineurs qui fuguent dans des pays à risque, sous-entendu, pas plus que des lycéens qui manifestent.

Pour la première fois dans cette affaire, la responsabilité de la police est reconnue. Le rapporteur public met en cause la dangerosité de l’arme, les distances de tir, la formation du policier. Une avancée symbolique qui, si elle est confirmée, pourra servir de jurisprudence pour les dizaines d’autres personnes atteintes au visage. En revanche, tel Salomon, le magistrat tente d’opérer un « partage des responsabilités » pour le moins étrange. Si l’État a bien commis « une faute », le lycéen serait responsable « à hauteur de 30% » du tir qui l’a atteint au visage. En effet, la participation à des « voies de faits », en l’occurrence le fait d’avoir été présent à une manifestation et ne pas s’être « désolidarisé d’actes de violences » le rend responsable de sa propre blessure. Une sorte de présomption de culpabilité pour les cibles de tirs.

Comment ont été fixés ces 30% de « responsabilité partagée » ? Nul ne le sait. Dans cette logique, le slogan « tout le monde déteste la police » chanté juste avant un tir pourrait donc coûter 15% de « responsabilité partagée », un fumigène allumé 45% ? Le barème des mutilations policières demeure pour le profane un point aveugle de la procédure.

Le délibéré – et l’épilogue ? – de cette épopée est fixé au 25 novembre prochain. Si l’État est effectivement condamné pour un tir de LBD 40, et que l’arme est officiellement reconnue comme « dangereuse », le verdict ouvrirait non seulement de nouvelles pistes pour les innombrables blessés qui ont vu leur plaintes classées sans suite lors des procédures pénales, mais il ouvrirait une brèche au sein même de l’administration, alors que les armes de la police sont utilisées de manières de plus en plus massives et indistinctes.

En France, il est presque impossible de faire condamner un policier violent. En avril 2012, un gardien de la paix abat Amine Bentounsi d’une balle dans le dos à Noisy-le-sec. Le tireur est mis en examen. Le soir même, des dizaines de voitures de police, sirènes hurlantes, prennent littéralement en étau le tribunal de Bobigny pour protester contre la justice. La police fait corps, et le prouve à chaque procès où l’un des leurs est mis en cause. Chaque audience est l’occasion d’une démonstration de force tant physique que politique. Les mobilisations de ces derniers jours, où la police se constitue en force autonome et armée lors de manifestations sauvages en sont les dernières illustrations. Les procédures administratives peuvent donc être une voie envisageable pour faire perdurer le combat contre les violences d’Etat dans la rue comme dans les tribunaux.

Le contexte général est au durcissement sécuritaire, aux manifestations policières pour réclamer toujours plus d’armement et d’impunité, et aux expulsions imminentes du camp de Calais et des occupants de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. Le délibéré du 25 novembre prochain à Nantes est donc à observer avec attention.

En complément de cet article, nous avons demandé à l’avocat de Pierre Douillard, spécialiste des démarches administratives contre l’état, de nous éclairer sur la procédure.

INTERVIEW D’ÉTIENNE NOEL

Lundimatin : Si le rapporteur reconnaît que la responsabilité de l’Etat est engagée, il avance des éléments qui relèvent juridiquement selon lui de la "faute simple". Vous vous êtes opposés à lui sur ce point en demandant que ce soit reconnue "la responsabilité sans faute du fait de l’utilisation d’une arme dangereuse". Quelle est la différence entre faute simple et responsabilité sans faute ? Et pourquoi est-il important que ce régime de responsabilité sans faute soit reconnue ?
Etienne Noel : Il existe en fait deux régimes de responsabilité : a) La responsabilité pour faute. Il est nécessaire alors de démontrer une faute simple des services de police dès lors que la personne atteinte était visée par l’opération de police. b) La responsabilité sans faute. Dans ce régime il n’est pas nécessaire de démontrer une faute, même si cela peut-être frustrant. Il s’applique dès lors que la personne atteinte n’était pas visée, c’est à dire, n’avait pas une attitude belliqueuse face aux forces de police, et se trouve être une victime collatérale, c’est le cas de Pierre Douillard, mais aussi d’autres victimes pour lesquelles des dossiers sont en cours.

Il était fondamental de soulever ce régime de responsabilité sans faute pour Pierre qui n’a jamais lancé quoique ce soit sur les policiers. Contrairement à ce qu’estimait le rapporteur public qui, sans en avoir de preuve formelle, avait la conviction que Pierre avait lancé des cailloux. Ce qui explique d’ailleurs le partage de responsabilité qu’il propose au Tribunal. Enfin, appliquer la jurisprudence Lecomte (CE 1949), instituant un régime de responsabilité sans faute en faveur des victimes collatérales, (ce que Pierre est sans conteste) présente l’immense avantage de faire juger une fois de plus que le flashball et le LBD 40 sont des armes dangereuses, en suite de ce que le tribunal administratif de NICE a jugé en octobre 2014.

La situation de Pierre le 27 novembre 2007, s’apparente à celle jugée à Nice. Dans cette affaire, les policiers devaient faire face à une "pluie de projectiles divers" ; ce qui n’était pas le cas, à NANTES.

Lundimatin : Le rapporteur a effectivement reconnu des éléments qui sont largement ignorés par les procureurs lors des audiences en correctionnel : absence de formation, distance de tir non réglementaire, zone de tir interdite, etc. Qu’est-ce qu’un rapporteur, et comment expliquer qu’il reconnaisse si facilement ce que le procureur nie systématiquement ?
Etienne Noel:Les procureurs n’ont jamais abordé ces problématiques à l’audience simplement en raison du fait que cela n’entrait pas dans la démonstration des fautes personnelles commises par M Leglise le 27 novembre 2007. Il s’agit de fautes commises par l’administration dont dépend ce dernier, jusqu’au plus haut niveau : d’où l’immense intérêt des procédures en responsabilité de la puissance publique qui permettent de la faire condamner.
Lundimatin : Comme vous le rappelez, le tribunal administratif de Nice avait déjà reconnu en 2014 que le flashball est une arme dangereuse. De telles armes sont pourtant abondamment utilisées pour des opérations de maintien de l’ordre. En quoi de telles condamnations peuvent-elles constituer un moyen pour attaquer l’utilisation de ces armes ? Et puisque c’est un décret qui indique quelles sont les armes à feu susceptibles d’être utilisées pour le maintien de l’ordre public, comment s’attaquer juridiquement à un tel décret ?
Etienne Noel : Accumuler les condamnations de l’Etat de façon à permettre un mouvement de réflexion comparable à celui qui s’est institué à propos de prisons. Même si rien n’est abouti de ce côté-là, il n’en demeure pas moins que l’on a jamais autant parlé des prisons depuis 10 ans et j’ai la faiblesse de penser que les procédures victorieuses menées depuis 10 ans n’y sont pas étrangères. Le décret peut lui être attaqué devant le Conseil d’Etat.

[1L’ouvrage Force à la loiPlus d’informations sur ce personnage malfaisant

mardi 26 janvier 2016

DUCOS : Quinze nouvelles condamnations par la Tribunal Administratif de la Martinique


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